Loïc Hervé : "Depuis le Covid, les tentations de restreindre les libertés publiques ne désarment pas"<!-- --> | Atlantico.fr
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Le sénateur Loïc Hervé lors d'un débat au Sénat.
Le sénateur Loïc Hervé lors d'un débat au Sénat.
©AFP

Big brother

Le Sénateur Loïc Hervé (UC) dénonce une atteinte aux libertés suite à la tentative de Bercy d’accéder aux données bancaires des Français. Selon des informations de Next INpact, la Direction générale des finances publiques du ministère de l'Economie et des Finances (DGFip) a tenté d'obtenir un accès direct et permanent à toutes les opérations réalisées sur l'ensemble des comptes bancaires ouverts en France.

Loïc Hervé

Loïc Hervé

Loïc Hervé est Sénateur de la Haute-Savoie (Auvergne-Rhône-Alpes), Secrétaire du Sénat, Membre de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, Membre de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes et Membre du groupe Union Centriste.

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Atlantico : Le ministère de l’Économie a demandé l'accès au solde de tous les comptes bancaires des Français, pour vous cela constitue un danger majeur pour les libertés individuelles des Français. Pourquoi ?

Loïc Hervé : Rien que d’avoir l’idée me pose une vraie difficulté. Par principe. L’Etat, dans un régime démocratique, libéral, peut-il s’octroyer le droit d’avoir accès à ce type d’information ? Je n’ai jamais douté que Bruno Le Maire soit respectueux de la démocratie et des libertés individuelles donc je suis très étonné de cette idée. D’autant qu'elle a été maintenue pendant plusieurs mois avant d’être abandonnée. Le gouvernement semble ne s’être posé ni la question de l’avis des utilisateurs ni de celui de la CNIL. Qu’il aille sur ce terrain est effarant. Si l’on se réfère à ce qu’on a vécu pendant le Covid, on ne peut que craindre qu’une mauvaise idée ajournée puisse demain, au profit d’une crise financière par exemple, devenir une « bonne » idée. Moi qui suis très à cheval sur les libertés publiques, je m’interroge sur l’objectif recherché et je suis inquiet. Quand on défend les libertés publiques, il y a des idées qu’on s’interdit d’avoir. Nous sommes depuis le Covid dans un concours Lépine de la mesure qui attentera le plus aux libertés publiques. Pendant le Covid, on a attenté à toutes les libertés publiques une par une. Même les mesures qui se sont avérées inutiles ou idiotes ont été maintenues. On ne nous refera pas le coup une seconde fois, d’où ma réaction à cette proposition.

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Est-ce une tentation Big Brother de contrôle social qui s’exprime ?

Je n’irais pas jusque-là. Mais on a eu depuis l’élection d’Emmanuel Macron plusieurs décisions qui ne vont pas dans le sens de la préservation des libertés individuelles. Dans la loi de finances de 2020, l’article 57 permet au FISC de faire du chalutage des données publiques pour faire des enquêtes préalables à des contrôles fiscaux. Concrètement regarder sur Facebook si une personne n’a pas des photos de Ferrari ou d’hôtels de luxe. Et personne ne s’est opposé à cela et on m’a rétorqué, dans une forme de dictature des honnêtes gens, « si tu n’as rien à te reprocher, tu n’as rien à craindre ». C’est un retournement de paradigme inquiétant, d’autant qu’il y a une forme d’accoutumance à ces restrictions. Très peu de gens sont descendus dans la rue. Nous sommes dans une crise géopolitique, à la veille d’une crise financière majeure, et on peut se demander ce qui pourrait être décidé. Quand on apprend que Linky peut potentiellement couper votre chauffe-eau, c’est inquiétant. Un outil censé vous rendre service peut se retourner contre vous. 

Craignez-vous qu’on restreigne les libertés au nom de la lutte contre telle ou telle menace ?

Je crains l’avènement d’un néomoralisme. La loi est là pour poser des interdits. Tout ce qui n’est pas interdit est autorisé. Demain, l’Etat va s’arroger de définir le bien et le mal à la place de la religion qui n’est pas en état de le faire. Un état religion va indiquer ce qui est bien ou mal. L’Etat dit quand ouvrir les fenêtres et quand les fermer, désormais la température à laquelle chauffer le logement, etc. c’est insupportable. Je crois aux technologies qui affranchissent, pas aux technologies qui contraignent. 

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Comment empêcher cette dérive ?

Il faut déjà ne pas renoncer au débat public. Les questions doivent rester discutées. Il n’y a pas de consensus, il y a des visions contradictoires et un débat public est nécessaire pour trouver une voie médiane. Les outils ne sont pas mauvais en soi, mais il faut en faire un usage modéré et éthique.

Pourquoi votre position est-elle si peu audible ? Et pourquoi y-a-t-il une telle indifférence sur ces questions ?

Le combat pour les libertés publiques a toujours été mené par des personnes minoritaires. C’est une règle générale qui est valable jusqu’au moment où la situation devient un problème de société majeur.

Contrairement aux anglo-saxons, nous n’avons pas la tradition de l’habeas corpus chevillée au corps. On s’accommode d’un certain nombre de choses. Souvent, les gens laissent couler tant qu’ils ne sont pas concernés. Par exemple, ceux qui défendent la peine de mort se mettent à la place de la famille de la victime mais jamais à celle de la famille de l’assassin. 

Comment tenir un vrai discours sur les libertés ?

Il y a heureusement des gens qui, dans le débat public, s’expriment sur ces questions. Et il faut continuer et ne rien lâcher. Je le fais au niveau parlementaire. Il est nécessaire que cette conscience soit maintenue et entretenue. 

Avez-vous des relais et des soutiens parmi les parlementaires ?

Ça arrive. Pas tout le temps et pas de manière majoritaire. Mais ce débat est assez peu évoqué dans la sphère médiatique également. Et il y a des collègues qui en temps de crise estiment que ce discours sur les libertés n’est pas audible. Mais si, il peut et il doit l’être.

Heureusement, dans la tradition du Sénat, il y a une attention particulière portée aux libertés publiques. Sur la loi sécurité globale, le Sénat a renforcé les garanties et le cadre légal, par exemple sur l’utilisation des drones. C'est Gérard Larcher qui a fait échouer la réforme constitutionnelle sur la déchéance de nationalité, par exemple. Le Sénat reste une maison qui protège les libertés publiques. J’aimerais qu’il le fasse plus. Cela va devoir être le cas car avec l’absence de majorité à l’Assemblée nationale, le Sénat a un rôle renforcé. Il va falloir cependant que les parlementaires soient aguerris aux questions techniques, c’est l’un des vrais enjeux.

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