Publicité

Le maire et le prédicateur salafiste, histoire d’une petite guerre de religion

A Marnaz, des perquisitions ont conduit à l’assignation à résidence d’un salafiste, soupçonné d’endoctriner de jeunes migrants dans un foyer. Il a été par la suite incarcéré. L’édile est menacé de mort

Loïc Hervé, Sénateur et maire de Marnaz (74) devant le foyer de travailleurs migrants ou se trouve la salle de prière. Marnaz, Le 05.12.2015 © David Wagnières
Loïc Hervé, Sénateur et maire de Marnaz (74) devant le foyer de travailleurs migrants ou se trouve la salle de prière. Marnaz, Le 05.12.2015 © David Wagnières

Les mots sont crus et violents: «Salaud facho race de m…, ta mort». Message posté sur un réseau social à l’adresse de Loïc Hervé, sénateur-maire de Marnaz en Haute-Savoie, à 40 km de Genève. L’élu centriste bénéficie désormais d’une protection. Car la menace, prise très au sérieux, n’est pas la première. Qui lui voudrait du mal? Loïc Hervé le sait mais ne donnera pas de nom. Il évoque cependant l’entourage de Yacine*, 26 ans, originaire des Valignons, quartier que frôle l’autoroute blanche.

Yacine est en prison à Chambéry depuis mardi dernier. Le 26 novembre au petit matin, des perquisitions effectuées dans le cadre de l’état d’urgence en vigueur depuis les attentats à Paris ont visé cinq appartements du quartier, dont le sien, et le foyer de travailleurs migrants voisin.

Yacine, présenté comme un salafiste, avait de l’influence dans la résidence sociale, au point de prendre le contrôle de la petite salle polyvalente transformée en salle de prière. La mairie de Marnaz a signalé à plusieurs reprises à la gendarmerie les dérives radicales de Yacine. Loïc Hervé prend pour exemple une réunion dans une salle communale en 2013 de l’Association savoisienne lumière d’islam (ASLI), présidée par ce même Yacine.

«Le thème était le projet de construction d’un lieu de culte. Un drap avait été tiré au milieu pour séparer les femmes des hommes. Que cela soit la règle dans une mosquée d’accord, mais pas dans un espace public. C’est une forme évidente de radicalisme», argue le maire. Qui parle aussi de la volonté d’ASLI de remettre en cause à certaines heures la mixité à la piscine et de vouloir généraliser les menus halal.

Le 26 novembre, Yacine a été assigné à résidence chez lui avec l’ordre de pointer à la gendarmerie trois fois par jour. Mais lundi 30 novembre il s’est rendu à son école professionnelle à Chambéry sous le prétexte «que rater des cours revient à perdre deux années d’études». Interpellé, il devait passer en jugement jeudi 3 décembre mais le prévenu a récusé son avocat (une femme) et l’affaire a été renvoyée au 10 décembre.

Qui est Yacine? «Un type charismatique et manipulateur», indique Loïc Hervé. Pas de casier judiciaire, pas de barbe, des vêtements européens de marque. Dahmane, rencontré au foyer des travailleurs, précise: «Je l’ai connu petit, un enfant gentil mais quand son père est mort d’un cancer à la gorge, il a changé. Il est devenu plus pratiquant, il parlait aussi beaucoup de racisme, des ouvriers musulmans toujours les premiers à se retrouver au chômage.»

Comme d’autres anciens, Dahmane vit quelques semaines par an au foyer, le temps de récupérer sa retraite et d’aller chez le médecin, puis il rentre au pays. Dahmane a quitté son Algérie natale dans les années 70, a trouvé du travail dans le décolletage à Marnaz. «C’était l’époque du plein emploi, la main-d’œuvre manquait, les patrons faisaient venir surtout des Algériens», rappelle Evelyne Aupetit, la directrice du foyer.

Dès cette époque, une petite salle de la résidence est devenue un lieu de prière, pour les ouvriers de toutes les confessions. «Mais comme les Maghrébins étaient largement les plus nombreux, seul le culte musulman était célébré. Au point que des gens de l’extérieur venaient eux aussi alors que l’accès du foyer n’est autorisé qu’aux résidents. Mais comment contrôler qui entre et sort, les gens ont le droit de recevoir des visites», explique la responsable.

La salle peut contenir 50 personnes, 120 y affluent le vendredi jour de la grande prière. Des tapis sont posés ainsi qu’un minbar – une chaise de prêche – et une horloge qui donne l’heure des prières. Il n’y a pas d’imam, alors la parole pour le prêche est donnée au plus ancien, un retraité qui actuellement gère le lieu. Mais selon des fidèles, celui-ci a été peu à peu écarté par Yacine et ses proches.

Rencontre avec Souleymane*, originaire d’un pays d’Afrique noire, qui s’en va ce matin-là sur son vélo embaucher dans une usine près de Cluse: «Cet homme s’est autoproclamé imam. Il se comporte comme les dictateurs de chez nous, avec beaucoup d’intolérance et il parle toujours des non-musulmans comme de mécréants, ceux qui ne savent pas. Je lis le Coran depuis que je suis sur la terre. J’apprends tous les jours à respecter les autres, lui est un malveillant.»

Souleymane et les anciens du foyer paraissent insensibles au prosélytisme de Yacine. Mais pas, semble-t-il, plusieurs jeunes migrants isolés hébergés depuis peu de temps dans le foyer, faciles donc à endoctriner. Les perquisitions du 26 novembre ciblaient aussi les appartements de plusieurs de ces réfugiés. La Préfecture n’a fourni aucun bilan. Le lieu de prière n’est désormais accessible qu’aux résidents du foyer. Un système de vidéosurveillance quadrille les alentours et les couloirs.

Loïc Hervé s’est félicité de la mise à l’écart de Yacine, mais l’affaire est loin d’être réglée. Car certains habitants musulmans de Marnaz ont très mal reçu l’annonce de fermeture de la salle du foyer. Où aller prier? Le lieu de culte de Cluses (à 6 km), seule salle de prière officielle de la région avec un imam mis à disposition par la Grande Mosquée de Paris, ne peut accueillir que 300 personnes et en laisse parfois autant prier dehors.

La mairie rappelle que les communes ne sont pas tenues à organiser l’exercice du culte, quel qu’il soit. Les musulmans de Marnaz voudrait acheter ou louer un terrain de la ville. Loïc Hervé préfère les vouer à l’activité économique. «Nous avons 12% de chômage, il faut attirer les entrepreneurs», justifie-t-il.

* Prénom d’emprunt