Sécurité globale : accord entre l’Assemblée et le Sénat, qui impose sa version de l’article 24

Sécurité globale : accord entre l’Assemblée et le Sénat, qui impose sa version de l’article 24

Députés et sénateurs sont parvenus à un accord en commission mixte paritaire sur le texte sur la sécurité globale, que ce soit sur l’article 24 ou sur les drones. « On a trouvé le bon équilibre entre protection des policiers et protection des libertés », se réjouit le sénateur LR Marc-Philippe Daubresse, corapporteur au Sénat.
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C’est le texte qui a mis des milliers de personnes dans la rue, fin 2020 et encore début 2021. La proposition de loi sur la sécurité globale, et son célèbre article 24, seront bientôt définitivement adoptés. Députés et sénateurs se sont entendus ce lundi soir sur une version commune du texte, lors d’une commission mixte paritaire (CMP) rassemblant sept membres de chaque assemblée. Il ne reste plus qu’à l’Assemblée et au Sénat à adopter les conclusions de cette CMP. Une formalité, qui permettra l’adoption définitive du texte par le Parlement, puis au gouvernement de prendre les décrets d’application.

Cet accord en CMP n’est pas vraiment une surprise. Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, qui s’était montré ouvert à plusieurs modifications du Sénat, avait espéré « une commission mixte paritaire conclusive ». Sur ce texte, le Sénat, la majorité de droite et du centre, partage bon nombre d’objectifs en commun avec le ministre. Au passage, le texte est renommé « loi sécurité globale préservant les libertés ». Le fruit d’un compromis de la CMP. Les sénateurs l’avaient intitulé proposition de loi « pour un nouveau pacte de sécurité respectueux des libertés ».

Chacun avait intérêt à trouver un accord

« On a trouvé le bon équilibre entre protection des policiers et protection des libertés. C’est cet équilibre du Sénat qu’on retrouve dans le compromis en CMP », se réjouit le sénateur LR Marc-Philippe Daubresse, corapporteur du texte à la Haute assemblée. Il pense avoir eu gain de cause sur l’essentiel. « Le Sénat conserve tous ses acquis. 80 % du texte final adopté, c’est le texte du Sénat », souligne l’ancien ministre. Le fruit de discussions entamées en amont, avec deux réunions préparatoires la semaine dernière. « Il y aurait pu y avoir au Sénat une surenchère sécuritaire », souligne aussi le sénateur UDI Loïc Hervé, l’autre corapporteur, « mais ça n’a pas été le cas. Marc-Philippe Daubresse et moi, sommes des modérés ». Loïc Hervé se dit « très satisfait de l’équilibre trouvé ». Le sénateur de la Haute-Savoie ajoute :

On a démontré l’utilité du bicamérisme. L’Assemblée a apporté son message sur la nécessité de faire évoluer la loi sur des sujets précis. Nous, on a joué notre rôle de chambres des libertés individuelles et des collectivités locales.

Le texte des députés LREM Jean-Michel Fauvergue et Alice Thourot voit large. Il touche de nombreux domaines. Il ambitionne de créer un « continuum de sécurité » en renforçant, par expérimentation, la police municipale, comme les sociétés de sécurité privées. Il donne un cadre juridique à l’utilisation des drones par la police et protège mieux les forces de l’ordre.

« Le préambule à toute discussion, c’était de garder notre version de l’article 24 »

Sur l’article 24, qui permet de mieux protéger les forces de l’ordre et qui avait concentré les critiques, c’est la version du Sénat qui est conservée. Après les manifestations, le premier ministre avait d’abord annoncé une commission pour plancher sur la réécriture, suscitant l’ire des sénateurs. Ils avaient rappelé à l’exécutif qu’il revenait aux sénateurs, dans le cadre de la navette parlementaire, de procéder à cette réécriture.

Lors des discussions informelles précédant la CMP, « les députés ont commencé par dire qu’ils avaient une autre rédaction. Yaël Braun-Pivet (présidente LREM de la commission des lois, ndlr) avait travaillé avec les députés sur une autre version. Mais on a fait comprendre que le préambule à toute discussion, c’était de garder l’article 24. On l’a d’abord mis de côté, pour passer en revue tout le texte. Quand on a vu qu’on s’approchait d’un accord, ils ont accepté de prendre l’article 24 dans la version du Sénat », raconte Marc-Philippe Daubresse. Un accord permis surtout par le travail réalisé en amont avec le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, avant même l’examen du texte au Sénat. Le rapporteur s’est soucié de la compatibilité entre la version sénatoriale de l’article 24 et le gouvernement. Les deux rapporteurs sont même allés déjeuner avec le ministre de l’Intérieur, avant les débats en séance. Un Sénat constructif, où chacun avait à y gagner : le Sénat, qui a pu jouer la carte du défenseur des libertés publiques pour apaiser les esprits. Et le gouvernement, qui a pu faire redescendre la pression et a trouvé une porte de sortie honorable, tout en conservant sa volonté de mieux protéger les policiers.

Contrairement au texte sorti de l’Assemblée, l’article 24 ne touche donc plus à la loi de 1881 sur la liberté de la presse, ce qui avait suscité une levée de boucliers des sociétés de journalistes de toutes les rédactions. Les sénateurs ont créé à la place un nouveau délit de « provocation à l’identification » des policiers. La gauche juge cette version encore dangereuse et mal écrite, l’intention de provoquer étant, selon elle, difficile à définir. Des critiques qui ne tiennent pas selon le rapporteur. « Il n’y a plus du tout d’atteinte à la diffusion d’image. J’entends des journalistes qui disent le contraire. Ce n’est pas vrai », soutient Marc-Philippe Daubresse. Il donne un exemple : « Un journaliste pourra filmer un policier qui tabasse un manifestant et diffuser l’image. Mais si une personne diffuse cette image sur les réseaux sociaux en donnant l’adresse du policier et en disant qu’il faut lui casser la gueule, là il y a délit. Il faut une intention de nuire et qu’il existe un lien précis, certain et direct ».

« Régime juridique d’usage des drones robuste »

Si les regards se sont concentrés sur l’article 24, le texte comporte d’autres sujets sensibles, à commencer par l’article 22. Il donne un cadre juridique aux drones. La préfecture de police de Paris faisait jusqu’ici voler sans gênes ses engins, hors de tout cadre légal… Au point de devoir les laisser à terre sur décision du Conseil d’Etat.

Au final, Loïc Hervé salue « un bon compromis » sur les drones. Outre la surveillance des manifestations, des frontières ou des côtes, les sénateurs, qui avaient consulté la CNIL sur le sujet, avaient limité leur utilisation au constat des « crimes ou délits punis d’une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure ou égale à cinq ans ». Disposition conservée en CMP. « Je n’allais pas lâcher là-dessus, dans la mesure où le drone est une technique intrusive, ça ne peut pas être open bar. Il faut limiter », soutient Loïc Hervé. « L’accès aux espaces privés n’est pas autorisé. Et on ne peut pas laisser n’importe qui accéder aux images, qui ne peuvent être utilisées que dans un cas précis » ajoute Marc-Philippe Daubresse.

« On est vraiment sur un régime juridique d’usage des drones par les forces de l’ordre qui est robuste, qui ne se limite pas une liste de finalités », estime le sénateur UDI de la Haute-Savoie. Le rapporteur avait fait adopter un régime d’autorisation préalable par le préfet ou le procureur. Après le compromis trouvé en CMP, le contrôle se fera plutôt par le magistrat en charge de l’affaire, et non le procureur, ou toujours par le préfet. L’extension du recours aux drones à la police municipale, souhaité par le Sénat, est conservée avec « des garanties supplémentaires ».

« La reconnaissance faciale est interdite expressément pour les drones »

Autre point : « La reconnaissance faciale est interdite expressément pour les drones, ainsi que la captation de sons », se réjouit encore Loïc Hervé. Reste que pour la Quadrature du Net, association de défense des libertés publiques, les garanties apportées par les sénateurs restent globalement trop faibles sur les drones. « Avec la Quadrature du Net, que je respecte, on a souvent des divergences de fond. Je cherche un terrain d’entente pour trouver un cadre juridique pour les drones. Eux, y sont tout simplement hostiles. J’essaie de trouver des accommodements raisonnables, c’est-à-dire « oui, mais ». Ce sont les garanties qu’on apporte », défend Loïc Hervé.

L’article 23 restait un sujet à trancher. Il permet de mettre fin au bénéfice des crédits de réduction de peines automatiques pour les détenus coupables d’infractions sur les forces de sécurité intérieure. Les sénateurs l’ont jugé non proportionné et l’ont recentré sur les infractions les plus graves (meurtre, tortures, actes de barbaries). « Ce n’est pas pareil que vous tuiez un policier ou rayiez sa voiture », résume Marc-Philippe Daubresse. Au final, le champ des infractions reste bien réduit, avec « les infractions graves voire très graves, mais en CMP, on a élargi les victimes potentielles pour que ça ne se limite pas aux policiers, mais que les magistrats et les personnes dépositaires de l’autorité publiques soient aussi concernés », précise le sénateur LR.

« Evaluation à mi-chemin » de l’expérimentation du renforcement des polices municipales

Sur la police municipale, le rapporteur explique que « les amendements de la sénatrice Françoise Gatel, qui tendaient à avoir une évaluation à mi-chemin de l’expérimentation pour les polices municipales, et un autre garantissant qu’il n’y aura pas de généralisation automatique, ont été retenus mais avec une rédaction moins détaillée ». Marc-Philippe Daubresse explique par ailleurs avoir « cédé sur les comités locaux de prévention de la délinquance ». « Je comprends l’intention. Ils imposaient un coordinateur obligatoire à toutes les communes, sauf qu’en zone rurale, ce n’est un enjeu majeur. Un seuil a donc été fixé à partir de 15.000 habitants pour rendre obligatoire un coordinateur », explique l’élu du Nord.

L’amendement du sénateur LR Laurent Duplomb, visant à créer une circonstance aggravante permettant de sanctionner plus durement les intrusions dans les exploitations agricoles, a été revu pour le renforcer juridiquement. Une mesure qui satisfait la FNSEA, mais pas les lanceurs d’alerte comme ceux de l’association L 214, qui visent certaines conditions d’élevage et d’abattage des animaux.

Concernant l’article 21, qui permet notamment à la police de transmettre aux médias ses propres images tournées lors des manifestations, la mesure avait été supprimée par le Sénat, Loïc Hervé alertant sur ses conséquences et le risque d'une « bataille médiatique ». « Il y a eu un petit débat avec les députés, mais finalement, la position du Sénat est retenue », là aussi, précise Marc-Philippe Daubresse. Quant à l’article 25, qui permet aux policiers hors service d’entrer dans des établissements recevant du public, comme une salle de concert, avec leur arme, il a été voté conforme au Sénat, malgré la polémique qu’il suscite. Il n’a donc pas été l’objet de discussion en CMP.

 

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